Rendez-vous avec O.

Par Thomas Dupuis, envoyé Spécial en Corée du Sud

studio

J’ai rencon­tré Oh Yeongjin à l’oc­ca­sion du SICAF (Seoul Inter­na­tio­nal comics and Anima­tion Festi­val). J’étais très curieux de voir enfin l’au­teur du Visi­teur du Sud. Nous avons d’abord discuté dans un bar, puis je suis allé chez lui quelques jours plus tard, pour voir les planches origi­nales du Visi­teur et de ses autres livres, que nous allons bien­tôt publier.

Monsieur Oh s’étonne qu’un éditeur euro­péen aie voulu publier Visi­teur du Sud, qui lui semble très coréen. Il me pose des ques­tion sur notre ligne édito­riale, et me demande quelles sont les réac­tions des lecteurs fran­co­phones. La plupart des gens qui m’ont donné leur avis sur le livre était surpris et amusés de la façon dont Monsieur Oh décrit la Corée du Nord, et je pense qu’ils en apprennent par ce livre autant sur la Corée du Sud. Son projet de « dépas­ser les idéo­lo­gies et les systèmes poli­tiques pour montrer des hommes » est compris et appré­cié des lecteurs. Par contre, je suis agacé par certains articles de presse qui, pour coller à l’ac­tua­lité poli­tique, disent que le livre « dénonce la Corée du Nord », et par les « critiques » qui ont des réac­tions néga­tives vis-à-vis de son dessin, alors que dans le même temps ils n’ont aucun a priori sur Reiser, pour citer un auteur dont le dessin me semble proche de celui de Monsieur Oh. Monsieur Oh connait les dessins de Reiser, qui est édité en Corée, et me parle égale­ment de Sempé, qu’il a décou­vert avec Marcel­lin Caillou : « le dessin semble exécuté sans le moindre effort ».

prixacbd

Je lui remets le prix Asie ACBD, une petite statuette au style « Shojo manga ». La statuette le fait rire, mais il est très content de ce prix, qui va rejoindre les autres sur ses étagères. Monsieur Oh se montre curieux du milieu français de la bande dessi­née. Il me demande si les auteurs peuvent vivre de leur métier, ou si, comme lui, on est obligé d’avoir un « vrai travail » à côté. Car Monsieur Oh travaille toujours pour la Compa­gnie Coréenne d’Élec­tri­cité : il super­vise des chan­tiers d’ins­tal­la­tion, mais plus du tout en Corée du Nord. En effet, depuis l’ar­ri­vée du président Lee Myung Bak au pouvoir, plus ques­tion de coopé­ra­tion Nord-Sud. D’ailleurs, ajoute-t-il, si le Visi­teur parais­sait aujourd’­hui, il aurait sans doute des problèmes. Monsieur Oh aime­rait pouvoir vivre unique­ment de la bande dessi­née, et dessine le soir après le boulot. Pour ses livres les plus récents, il a adopté un papier « profes­sion­nel », avec des mesures en centi­mètres impri­mées sur les côtés. Je trouve que ça perd en spon­ta­néité. Lui aussi préfé­rait le papier basique mais moel­leux qu’il utili­sait sur Le Visi­teur. (Peut-être que ce papier pré-imprimé est une contrainte de l’édi­teur ?)

planches

Il me montre deux livres : Terro­rist, son tout premier, un recueil d’his­toires courtes dessi­nées dans des styles très diffé­rents (il me semblait bien qu’il n’était pas tout à fait un novice lorsqu’il a réalisé Visi­teur du Sud), et un livre de photos de la Corée du Nord, prises en cachette par un ami photo­graphe, prin­ci­pa­le­ment à la campagne. On dirait des photos des années 50 (les fringues, les véhi­cules), sauf qu’elle datent de 1997 et sont en couleur. Drôle d’im­pres­sion.

livre

Monsieur Oh était proche des gens de Comix, un collec­tif d’au­teurs qui publiait une revue assez dense aux styles divers, et au contenu parfois ouver­te­ment poli­tique (je me souviens de cette histoire où l’avant-dernier Premier Ministre japo­nais -d’ex­trême-droite- se faisait sauva­ge­ment tortu­rer) Il admire Yoshi­haru Tsuge (L’au­teur de L’homme sans talent, qu’il lit en japo­nais, puisque ce n’est pas publié en Corée), et quali­fie Ko Woo Young de « légende de la bande dessi­née », c’est vrai que moi aussi j’aime beau­coup les dessins (je ne lis pas encore le coréen) de ce vieil auteur coréen. On retrouve dans les dessins de Monsieur Oh la même éner­gie que dans les dessins de Monsieur Ko. Comme on retrouve le dyna­misme de Kurtz­mann chez Vuille­min, par exemple. Monsieur Oh est très curieux de la France, il me pose des ques­tions sur le gouver­ne­ment actuel et me dit qu’il aime­rait beau­coup voya­ger en Europe. J’es­père que nous aurons l’oc­ca­sion de le faire venir pour le prochain festi­val d’An­gou­lême.

Avant que je parte, il m’offre une bande dessi­née nord-coréenne. Elle raconte l’his­toire de la Corée sous un angle nord-coréen, et a été réali­sée par une équipe de dessi­na­teurs.

Merci à Muriel Park de l’Agence Orange, d’avoir orga­nisé cette rencontre et d’avoir fait l’in­ter­prête.